Cigare, Poncho Et Dollar

07/02/2018

Le western spaghetti, et en particulier une certaine trilogie du dollar, a participé à l'émergence, dans les années 1960, d'un nouveau genre de personnage bien plus fascinant que le cow-boy propre sur lui. Ce personnage, c'est Blondin, le Manchot ou l'Etranger, joué par Clint Eastwood.

Commençons par le commencement. Le western spaghetti. Apparu au début des sixties, c'est un sous-genre du western. Avec le western spaghetti, on peut noter une évolution des codes du western « traditionnel ». Ici, pas de gloire aux valeurs fondatrices américaines, pas de schéma « type » du gentil et civilisé cowboy contre les méchants et sauvages indiens. La loi du plus fort est prônée contrairement aux westerns normaux. La violence est omniprésente et les personnages sont plus crédibles que les cow-boys des westerns, de par leur aspect physique crasseux et leur état d'esprit individualiste et anarchiste. Ces deux mots pourraient bien résumer le genre, qui est tout de même teinté d'un humour grandguignolesque, qui ajoute une touche de légèreté et permet de désamorcer les tensions. 

« Chez moi, j'étais si mal que j'en suis parti ». Ces mots, prononcés par l'Etranger dans Pour une poignée de dollars pourraient être représentatifs des personnages interprétés par Clint Eastwood dans la trilogie du dollar de Sergio Leone. En 1964, le padrone du western spaghetti sort Pour une poignée de dollars. Est crée alors une nouvelle sorte de personnage unique et mythique joué par Clint Eastwood. J'y reviendrai. 

L'année suivante, Et pour quelques dollars de plus arrive sur les écrans. En 1966 suit le dernier volet de cette trilogie, le plus connu et devenu culte, Le bon, la brute et le truand

Dans ces films, on retrouve des acteurs assez mythiques comme Gian Maria Volonte, Eli Wallach ou Lee Van Cleef que l'on peut voir dans Et pour quelques dollars de plus et Le bon, la brute et le truand dans les rôles du colonel Mortimer et de la Brute. Enfin le méconnu Clint Eastwood joue les rôles de Blondin, l'Etranger et le Manchot (qui n'est qu'un seul et même personnage sous différents noms). Pour l'anecdote, le réalisateur avait au départ pensé à Henry Fonda, James Coburn ou Charles Bronson pour jouer ce rôle mais étant trop chers, il se rabattit sur Eastwood qui savait monter à cheval. Heureusement pour Eastwood car sans cette trilogie qui a été un vrai tremplin pour lui, il ne serait peut-être pas devenu l'acteur et le réalisateur talentueux qu'il est aujourd'hui. 

Contrairement à Mortimer qui incarne un personnage de héro plus classique, le personnage d'Eastwood (la combinaison des trois personnages est connu sous l'appellation de « l'homme sans nom ») est clairement un anti-héros. Alors que les héros agissent afin de sauver le monde, l'Homme sans nom n'est pas du tout attiré par une communauté idéale, c'est quelqu'un de plutôt solitaire, sans attache, qui ne lie jamais de relations durables, amoureuses ou amicales, et s'il en a, c'est juste par intérêt, comme sa collaboration tumultueuse avec Tuco dans Le bon, la brute et le truand. D'ailleurs le nom « L'Etranger » montre bien que ce personnage n'a de lien nul part. On pourrait le qualifier d'apathique, à la limite du sociopathe. C'est d'ailleurs ce qui fait l'efficacité du personnage. On peut ainsi le voir comme un personnage d'action moderne pro-John McTiernan dans Die Hard.

La survie et la vengeance sont importantes dans la trilogie ce qui fait que Blondin, dans Le bon, la brute et le truand va passer sans arrêt d'un camp à l'autre, en allant du côté le plus avantageux afin de servir ses propres intérêts, comme le prouve son amitié avec Tuco encore une fois, celle-ci évoquant les duos burlesques du cinéma classique américain. Tuco est assez turbulent, et parle constamment, tandis que Blondin (et c'est variable pour les autres personnages d'Eastwood dans la trilogie) parle peu, ou quand il parle, il n'attend pas forcément de réponse, et possède un humour froid bien à lui. C'est une des choses qui font de lui un personnage si mystérieux et plein de secrets. Ce mysticisme est renforcé par le fait que les apparitions de Blondin à l'écran ne sont pas explicites. On ne le montre jamais directement. Par exemple, la caméra va d'abord montrer un bout de bras, un pied, et on va découvrir après seulement qu'il s'agit de l'Homme sans nom. 

Celui-ci se distingue par son célèbre poncho et son cigare qu'il mâchouille constamment, le fumant à moitié, mais aussi son regard ténébreux et perçant, scrutateur. Eastwood, en interprétant ce personnage, s'ancre dans la lignée des acteurs aux visages inexpressifs, ou stone face, tels que Barry Sullivan en 1957 dans Quarante tueurs de Samuel Fuller ou William Hart. 

Concernant le poncho, Blondin le trouve juste avant d'arriver au cimetière, sur un homme à terre. Sergio Leone raconte qu'à la fin du film, Blondin, après avoir libéré Tuco, s'en va vers le sud, et c'est à ce moment que commencerai Pour une poignée de dollars. Les films sont donc en fait dans le désordre mais suivent une continuité. C'est une boucle, un cercle fermé. 

Le fait que Le bon, la brute et le truand se passe pendant la guerre de Sécession humanise les personnages comme ce moment où Tuco et Blondin rencontrent le général agonisant, et qui réalisent son rêve en faisant sauter le pont. En général, les westerns spaghetti arrivent à tempérer et rendre plus sympathiques leurs personnages. De plus, ils en font des personnalités plus complexes. 

Au début de Pour une poignée de dollars, l'Étranger se tient à l'écart des événements, il a le même rôle que le spectateur car il n'interfère pas dans ce qu'il voit, il se contente d'observer. Il est à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de l'action. Ce rôle à demi-mesure est renforcé à la fin quand l'Étranger fait sa dernière apparition, il semble revenir d'entre les morts, il est comme un fantôme, ce qui revient à la première scène où l'Étranger reste passif.

L'interprétation de Clint Eastwood y est pour beaucoup dans le façonnage de la personnalité de l'Homme sans nom. En effet, son jeu sobre, avec l'absence d'expressions faciales, renforce toute la beauté de ce qui fait l'Homme sans nom. On a envie d'en savoir plus sur ce personnage mais Eastwood ne laisse rien transparaître. Lui-même a d'ailleurs demandé à Sergio Leone d'alléger au maximum son dialogue. Il en fait donc un personnage impénétrable, méfiant de tout, et surtout des idéologies et des systèmes constitués. Il contraste ici avec Eli Wallach, acteur issu du théâtre, interprétant un personnage excentrique et bavard. Cependant, Tuco et Blondin ont en commun ce goût pour la manipulation des autres pour arriver à leur fin. 

Clint Eastwood a donc été un très bon acteur pour interpréter l'Homme sans nom. Il lui donne une aura emblématique, fait de son personnage une icône, dont on ne connaît aucun but et motivation, s'élevant au range de mythe. Il apparaît et disparaît sans demander son reste, et sans bruit. C'est un voyageur sauvage, qui passe sa vie sur la route, s'arrêtant pour vivre des aventures dont il ressort toujours vainqueur, mais cela ne semble pas l'atteindre. 

Ce cow-boy aventureux fait fantasmer les femmes et tous les hommes aimeraient lui ressembler. Et il est sans doute le meilleur et le plus fascinant personnage que Clint Eastwood ait jamais interprété.


                                                                                                                      Mia

Créez votre site web gratuitement ! Ce site internet a été réalisé avec Webnode. Créez le votre gratuitement aujourd'hui ! Commencer