Frank Darcel, Entretien avec le cofondateur de Marquis De Sade, ou comment retracer l'histoire du rock en Bretagne

04/04/2017


J'ai commencé à écouter Marquis De Sade au lycée, un peu par hasard. Je faisais des recherches sur le célèbre marquis quand je suis tombé sur une de leur chanson sur internet, et j'ai tout de suite accroché. Plus tard, en fac de philo, j'en ai beaucoup entendu parler. Bien que Marquis De Sade ait eu une courte existence, de 77 à 81, le petit groupe rennais maintient encore une sacrée bonne réputation dans les milieux étudiants.

À l'éveil du punk-rock français, Marquis De Sade est fondé par l'association de Frank Darcel à la guitare, Christian Dargelos au chant et à la basse, Philippe Pascal au chant. Divers guitaristes solo se succèdent en parallèle : Philippe Brunel, Frédéric Renaud ou encore Anzia; laissant paraître un goût subtil de new-wave avant-gardiste.

Aujourd'hui, Marquis De Sade a rendu les armes depuis longtemps, mais les membres de l'ancien groupe persistent, notamment Frank Darcel qui joue à présent dans son nouveau groupe Republik.


Pourquoi avoir choisi Marquis de Sade comme nom du groupe ?

F.D. : C'est Christian Dargelos qui a choisit ce nom un peu avant l'arrivée de Philippe Pascal dans le groupe. Il l'a choisit pour le coté sulfureux du Marquis de Sade, faisant référence à ses écrits formidables, à ses moeurs libérales. Notre musique n'y était pas forcément liée, mais ça collait avec la ville de Rennes de la fin des années 70 : libertine.


Quelles sont les influences du groupe à l'époque ?

F.D. : En 77, on écoutait beaucoup de groupes anglais comme les Clash ou Sex Pistols; puis en 78, après avoir passé l'été chez de la famille à New York, on a puisé des trucs de là-bas comme Talking Heads et The Feelies. Plus tard, on a fini par trouver notre propre son. Ma manière de jouer de la guitare et de composer avait malgré tout à voir avec ces influences new-yorkaises. Nous nous laissions également facilement emporter par des ponts instrumentaux dissonants, ou des envolées de free jazz au saxo, où l'on retrouvait parfois des influences Pere Ubu ou bruitistes.


Comment a débuté le groupe ?

F.D. : Les premières répétitions avec Christian ont débuté en été 76, mais ça devient du sérieux en 77, un peu avant de choisir Marquis De Sade comme nom du groupe.


Vous vous considérez comme un artiste engagé ? Si oui, quel message voulait faire passer Marquis De Sade ?

F.D. : C'est Philippe qui écrivait les paroles. On était encore dans une sorte d'après guerre avec chez les jeunes autour de nous un militantisme convenu qui nous lassait. On en avait marre de ces discours révolutionnaires préfabriqués. Nos paroles s'inscrivaient dans un rêve d'une Europe en un seul pays, une Europe qui avait déjà existé d'une certaine manière uniquement sur le plan artistique.*


Le choix des paroles en anglais (parfois en allemand) par Marquis De Sade pour un public français était-il un choix réfléchi ? 

F.D. : Il n'y avait là aucune volonté de provocation. On était passionné par le cinéma expressionniste allemand des années 1920/30, mais aussi par les films de Wim Wenders des années 1970. On cherchait à communiquer avec les autres pays d'Europe par notre musique. Nous avions même un groupe de fans à Budapest... Je milite toujours pour cette Europe fédérale, dans une approche plus politique.


Quel public était touché et à qui le groupe voulait-il s'adresser ? 

F.D. : On n'avait pas un public très large. On plaisait à la critique musicale, aux intellos des mouvements artistiques en vogue. Nos fans étaient généralement des gens qui aimaient les choses sombres, mais Marquis De Sade se voulait tout public; autant que faire se peut. Parce que, même à l'intérieur du groupe, ce "discours intello" devenait lassant. Nous n'étions qu'un groupe de rock après tout...


La notoriété est-elle venue rapidement ?

F.D. : Sur trois ans, on a fait pas loin de 150 concerts en France, Suisse et Belgique, et on était aussi apprécié dans d'autres pays d'Europe, comme au Portugal par exemple. Et nous étions également attendus dans certains clubs de New York. Mais on a splitté très tôt... 


Et pas eu le temps de voyager beaucoup.Des bons souvenirs au sein du groupe ? 

F.D. : Des souvenirs, on en a eu des bons et des mauvais. Les meilleurs, c'est bien sûr quand on jouait avec d'autres groupes comme Elvis Costello dans des festivals.


Dans votre livre Rok, vous parlez de la scène rock rennaise, de sa création à maintenant. Comment et quand la Scène Rock rennaise a-t-elle commencé ?

F.D. : Elle existe depuis le début du rock en général, mais on peut dire qu'elle a vraiment commencé à se distinguer et laissé des traces avec le mouvement punk-rock en 77. A cette époque, Rennes foisonne de choses originales, et les Transmusicales, créées en 79, le confirment. Marquis De Sade a participé fortement au lancement des Transmusicales.


Quelle importance a-t-elle dans le rock français en général ?

F.D. : Tout ce qui est venu de Rennes des années 80 a eu son importance. Mais, en dehors du son typique de la fin des années 1970, début des années 1980, la vague pop rennaise (Daho, Niagara) a aussi été très importante. Rennes ellemême était une ville rock, et était connue pour ça. Aujourd'hui, elle l'est toujours, mais il n'y plus de son rennais à mon avis. Mais beaucoup de bons groupes, et c'est déjà très bien.


Comment s'inscrit Marquis De Sade dans cette Scène Rock ?

F.D. : Je pense que c'est en partie grâce à nous que cette scène rock a émergé, parce qu'on a cherché, comme je le disais, à créer notre propre son. C'est important d'aller vers une forme d'originalité. Nous sommes le premier groupe rennais pour lequel les journalistes parisiens se sont déplacés. Ce n'était pas un but en soi... mais cela a permis à certains d'entre nous de signer dans des majors, parce qu'à l'époque encore plus que maintenant, tout le business de la musique et des médias était sur Paris. 


Vous avez actuellement un nouveau groupe de musique, Republik. S'inscrit-il dans continuité des groupes que vous avez fondés ?

F.D. : C'est la première fois que je chante, et puis, après plus de 30 ans dans la musique, c'est assez nouveau comme rôle. Il y a forcément une césure entre Marquis De Sade et Republik, ne serait-ce que du fait du changement d'époque. Mais j'ai toujours mes propres marques à la guitare. Et certaines envies de mélanges avec d'autres musiques.


Quel message veut faire passer Republik ?

F.D. : Republik n'a pas de message particulier à faire passer, nos chansons parlent de personnes qui se sont mises en marge de la société, et qui ont une approche particulière de la réalité. Nous essayons également de trouver notre propre son. Et sur scène nous voulons passer des moments excitants, et les partager. La base du rock, tout de même.


Le vrai rock selon vous, c'est quoi ?

F.D. : Définir le Rock, c'est un peu comme donner la définition de la pierre philosophale. Je dirais que le rock doit être avant tout excitant et électrique...


Quel groupe de musique préférez-vous ?

F.D. : J'ai eu ma période ado marquée par Cream, avec Eric Clapton quand il était « God » à la guitare, et avec les textes d'influence psychédélique de ce groupe incroyable. Ensuite j'ai découvert Bowie, Lou Reed, et c'était une révolution déjà. Puis j'ai beaucoup aimé les Talking Heads, Suicide...


Un auteur quoi vous inspire ?

F.D. : Il y a bien sûr Lou Reed, mais aussi Céline, Faulkner, ou encore Kafka; et Chandler ou d'Ellroy.


Quelle a été votre première guitare ?

F.D. : Il m'en fallait une pour jouer dans l'orchestre jazz du lycée de Loudéac quand j'étais encore gamin; je ne me souviens plus de la marque, mais c'était une japonaise achetée en 70. Je n'ai pas duré longtemps dans cet orchestre de jazz.... Ce n'est pas une musique faite pour mes doigts... Mais au moins, j'avais la guitare.


Un dernier mot pour finir ?

F.D. : Écoutez Elements, le nouvel album de Republik !



Rok : une référence de l'histoire du rock en Bretagne.

Rok, écrit sous la direction de Frank Darcel et Olivier Polard, est une véritable encyclopédie du rock breton. Ouvrage ne manquant pas de détails, richement illustré de photographies. Il ne faut pas se laisser impressionner par ces deux pavés impressionnants, débordants d'informations et passionnants à dévorer. Rok, De 1960 à nos jours, 50 ans de musique électrifiée en Breagne, sous la direction de Frank Darcel et Olivier Polard, tome 1 (éditions de Juillet, 2010) et tome 2 (éditions LADTK, 2013).


Marquis De Sade, Frank Darcel et le Rok.

Le rock fait son entrée en France un peu avant les sixties, via le cinéma surtout, avec Graine de Violence, (Blackboard Jungle aux USA, 1955), où Bill Haley interprète Rock Around The Clock. Été 1959, la radio Europe 1 lance l'émission Salut les copains de 17h à 19h, dont la musique instrumentale Last Night des Mar-Keys a marqué les adolescents de l'époque. L'émission diffusait du rock et a très vite rencontré le succès. Salut les copains a permit de faire découvrir divers chanteurs de rock américain. Puis c'est la popularisation des instruments électriques et leur diffusion de plus en plus accessible dans les grandes villes qui vient renforcer l'arrivée du rock, et va donner envie de jouer du rock. Les disques de rock arrivent plus tardivement chez les disquaires. En 1961, les premiers groupes de rock se forment à Nantes, et en 62, ces groupes bretons se font déjà populaires. On retrouve alors les Rockers, puisant leur répertoire chez les Shadows, les Sunset, qui jouent des morceaux de Gene Vincent et des Rolling Stones, ou encore les Devils, qui enchainent les salles de spectacle. À Brest, font surface les Loups Noirs ; à Rennes, c'est Atlas qui se démarque, ainsi que les Spirales. Rok parle plus tard des premiers festivals bretons qui ont vus le jour, notamment le festival des Guitares à Nantes créé en 62, et où de nombreux groupes, comme les Devils ou les Robots, font leurs débuts. Les festivals permettent aux amateurs de tenter leur chance sur scène devant un plus grand public.


Et Marquis De Sade dans tout ça ?

Marquis De Sade arrive à la fin des seventies, en 77, devant le public rennais. En octobre 77, Marquis De Sade joue la première partie du concert des Damned. Le groupe est alors formé de Christian Dargelos (chant et basse), Frank Darcel (guitare), Pierre Thomas (batterie), Alain Pottier (clavier) et, sollicité par le groupe après le concert, Philippe Pascal, qui entre au chant. Les Transmusicales naissent d'un concert de soutient pour l'association Terrapin, alors en déficit. C'est donc à la première édition des Trans que Marquis De Sade participe, aux côtés d'Oniris, et Fracture, le 14 et 15 Juin 1979. Aujourd'hui, presque 40 ans après cette première édition, le festival des Transmusicales a vu passer de nombreuses légendes. En 91, Nirvana y joue pour la première fois en France. Le festival révèle au public des stars telles que Bérurier Noir, Etienne Daho, Mano Negra, Daft Punk ou encore Justice. Les Transmusicales sont en quelque sorte un tremplin presque incontournable à la découverte internationale des groupes de musique actuelle.


                                                                                                                                  

Dylan Le Guern


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